Contrôle de parapentes | Quel est le problème ?

Par Eric Laforge, le 25 août 2022

J’ai commencé à voler en 1984 en aile delta puis en 1985 je suis passé au parapente. Je contrôle l’équipement de vol depuis 1987, dès que j’ai importé dans toute l’Europe les parapentes japonais de la marque FALHAWK au sein de l’entreprise JDC Electronic SA, puis dès 1992 dans mon entreprise, ASAGIRI SA.

J’ai appris que la Fédération Française de Vol Libre a comme objectif de créer un label pour la révision de parapente et de faciliter la création d’ateliers au sein des écoles de parapente. L’intention est louable, mais ce n’est pas prendre le problème par le bon bout.

Le sujet me passionne et concerne l’activité principale de mon entreprise, alors je vous soumets mes remarques un peu en vrac sur l’entretien de l’équipement de parapente. 

Vieux pilotes et parapentes d’anciennes générations

Trop peu de pilotes font contrôler leur équipement de parapente. C’est surtout les vieux pilotes (les vieux pros aussi) qui ne sont pas habitués à entretenir leur matériel.

Leur comportement est basé sur d’anciennes générations de parapentes qui requéraient moins de soins… C’étaient des FIAT, nous avons maintenant des FERRARI !

Liberté et responsabilité individuelle : OK, mais pas pour le biplace !

Les pilotes font comme ils veulent, c’est OK, car je suis pour la liberté et la responsabilité individuelle, mais où cela m’inquiète, c’est quand je sais que des parapentes biplaces ne sont pas correctement entretenus ou même jamais entretenus !

Les passagers des vols biplaces ignorent tout de notre activité et ils sont en droit de s’attendre à un entretien correct du matériel, comme quand ils prennent un taxi, un téléphérique ou un avion !

Pensez à cela quand vous confiez un de vos proches à un pilote de biplace ou que vous effectuez vous-même un vol avec un passager.

Anecdote catastrophique
On m’a rapporté que des pilotes de biplace n’osaient plus faire de virages avec leur parapente « lessivé » par des centaines de vols et jamais entretenu.

Ils ne veulent pas faire de frais quelques mois avant de revendre leur parapente (sans contrôle !) en Afrique ou ailleurs…

Calage hors homologation déjà après quelques dizaines d’heures de vol !

Qui le dit ??? Quelques fabricants osent l’écrire: NERVURES, NOVA, OZONE + quelques autres… La plupart des marques (toutes en réalité) le savent, mais elles ont peur de critiques si elles diffusent cette information pourtant capitale : 

« les calages des parapentes neufs sont souvent hors homologation après quelques dizaines d’heures de vol ! » 

Pour analyser avec efficacité le calage d’un parapente, il faut mesurer toutes les suspentes. Pour le corriger, il faut intervenir dans les maillons, dans les connexions de suspentes entre elles et dans les attaches des suspentes à la voile (sangle des points d’accroche). C’est un gros travail, mais si on le le fait pas, la voile n’est pas conforme au modèle homologué.

Sécurité et performance ?

Si le calage est hors tolérance, ce n’est pas forcément dangereux, mais ce n’est pas le parapente que le pilote a choisi en épluchant et comparant pendant des semaines les données techniques de divers fabricants et les résultats des tests en vol lors de l’homologation !

Une différence très courante de 10 à 20 mm (entre les suspentes A et les suspentes arrière) sur toute l’envergure du parapente peut changer la vitesse de plusieurs km/h.
C’est bien plus que de passer d’une taille à une autre !!!

Je rigole doucement…
…quand je vois des pilotes emporter 3 kg de ballast pour se situer pile au milieu de la fourchette de poids de leur voile (light !), alors que le calage n’a pas été mesuré et corrigé !

Le curseur de durée de vie restante

Exemple de “curseur” positionné à 50 %.

Dans notre atelier ASAGIRI en Suisse, lorsqu’un parapente passe le contrôle, c’est qu’il est apte au vol conformément à l’homologation du modèle.

Pour nous, c’est ON/OFF, il n’y a pas d’entre-deux. Les suspentes sont assez solides ou pas. La porosité est OK ou pas.

En revanche, le calage peut toujours et doit être corrigé pour que le parapente soit apte au vol conformément à l’homologation.

Dans l’attente d’une “norme” sur l’estimation de la durée de vie d’un parapente, nous ne publions pas de curseur, mais nous donnons tout de même une indication du vieillissement du tissu :

“Avec une porosité de l’ordre de 50 unités (porosimètre JDC), le parapente pourrait avoir atteint la moitié de sa vie.”

Pour l’instant, nous refusons d’être plus précis, car nous ne sommes pas devins. Nous ne savons pas du tout ce qui va se passer après notre contrôle :

  • si le parapente va être utilisé intensivement ou sporadiquement
  • de quelle manière il va être exposé à l’humidité (le vrai facteur de vieillissement du tissu !)

Porosité

Passer d’une valeur de réforme de 10 à 5 unités ?

Il semble que cette idée est dans l’air… Quelle est l’utilité de ce éventuel changement pour une tolérance plus grande ? Est-ce que cela va sauver des vies ? Est-ce qu’un parapente technique et performant d’aujourd’hui supporte mieux une forte porosité qu’un modèle rudimentaire d’il y a 30 ans ?

J’en doute et d’ailleurs aucun parapente n’est fabriqué avec du tissu poreux. L’enduction n’a pas d’effet que sur l’écoulement de l’air sur le profil. Elle donne aussi au tissu de la rigidité dans le biais. La disparition progressive de l’enduction (c’est ce qui fait augmenter la porosité) indique également de probables déformations du tissu, des nervures notamment.

On peut donc supposer qu’un parapente poreux ne vole pas avec tous les excellents comportements qui ont été validés par l’homologation.
Une idée serait de faire subir les tests d’homologation à des parapentes poreux, mais pour quel coût et quelle réelle utilité ?

Lors de nos contrôles, si la porosité descend en dessous de 20 unités sur plus de 3 mesures (sur un total de 9), nous informons le client que son parapente ne passera vraisemblablement pas le contrôle suivant (a priori une année après…). Quand il ne reste que peu d’enduction sur le tissu, la porosité peut augmenter rapidement.

Alors, passer de 10 à 5 comme valeur de réforme « sauvera » du rebut peut-être quelques parapentes.
Quel serait le gain de sécurité pour notre activité ?
Rien, surtout que je n’aurai aucune envie de voler avec de tels parapentes !

Faut-il casser des suspentes ? Intensité d’utilisation

Il n’est pas nécessaire de tester la résistance des suspentes sur un parapente âgé de moins de 2 ou 3 ans, utilisé « normalement » et sans incident particulier. 

Dans tous les autres cas, il faut casser des suspentes (au moins une basse) pour en connaître la résistance ! Surtout pour les biplaces et tous les parapentes utilisés intensivement.

Faut-il faire une prise de sang lors d’un contrôle médical ??? S’il n’y a que 0.5 % de cas graves détectés, peut-on considérer ce n’est pas utile??? (j’aime bien cet exemple, alors que je déteste les prises de sang).

Si on casse des suspentes, il faut les remplacer bien sûr. Cela demande d’avoir de la suspente en stock (pour les parapentes récents et même pour ceux qui ont plus de vingt ans…), d’avoir une machine à coudre, le savoir-faire et du bon sens.

Tout ou partie de cela manque à ceux qui estiment que ce n’est pas utile de tester la résistance des suspentes !
Il me semble que c’est uniquement la complication de cette partie importante du contrôle qui les rebute.

Information révélatrice. Gel et Kevlar.
Savez-vous qu’un parapente utilisé intensivement (biplace professionnel) en station de ski peut avoir les suspentes basses à la limite d’acceptation après seulement une année ?
Avec le gel, les fibres Kevlar se collent et seules quelques-unes prennent la charge et se cassent. Si cela se répète pendant l’hiver, la limite de résistance peut être atteinte rapidement.
Qui fait contrôler la résistance des suspentes de son biplace utilisé intensivement en station de ski ???

Précisions sur le remplacement du suspentage. Remplacement des basses A et B tous les ans ?

Il nous arrive rarement de devoir remplacer toutes les suspentes (set ou cone de suspentage). Seules les suspentes principales de frein (drisses) subissent une usure par frottement et, vu leur rôle primordial, leur remplacement est fréquent.

Les autres suspentes doivent être testées pour connaître leur résistance.

Évidemment les suspentes basses sont les plus importantes, surtout les A et les B qui prennent quasiment toute la charge. Je pense qu’il est raisonnable de les remplacer sur un parapente biplace après une ou 2 saisons de vols intensifs. Qui le dit et qui le fait ?

En revanche, remplacer les suspentes de freins, les suspentes hautes C, D, E est le plus souvent complètement inutile !

Bien sûr, les suspentes abîmées doivent toujours être remplacées. Si elles sont nombreuses, le remplacement de tout le suspentage peut dans ce cas être envisagé.

Intensité d’utilisation des parapentes

Il y a une forte disparité dans l’intensité d’utilisation des parapentes et elle n’est malheureusement pas prise en compte pour établir la fréquence des contrôles.
C’est révoltant, surtout pour des parapentes biplaces (voir plus haut) !

Et les sellettes ?

Bien que les homologations intègrent une périodicité de révision également pour les sellettes, bien peu de pilotes sont conscients de la nécessité de ces contrôles.

Le plus grave: certains Airbags sont totalement inefficaces pour les 2 raisons suivantes:

  • Forte porosité. En cas de choc, l’air fuit par tous les “pores” du tissu. C’est traître, car l’airbag parait parfaitement gonflé. Ce problème n’est pas visible.
  • Jonc (ou plaque) tordu. Le volume de l’Airbag est réduit, l’entrée d’air n’est plus dans la bonne position et le clapet antiretour peut ne plus fonctionner. Ce problème est visible.

L’amortissement lors d’un choc n’est pas seulement diminué dans ces cas, mais absolument nul, comme si l’on n’avait qu’une sellette “string” sans Airbag !

Nous contrôlons gratuitement l’efficacité de tous les Airbags pour éviter que les pilotes pensent à tord être protégés !

Que font les fédérations ? Spécialité suisse ?

En Suisse, pour un examen de brevet, la FSVL (Fédération Suisse de Vol Libre) demande que le modèle du parapente utilisé soit homologué (même si la certification date de 30 ans) et il n’y a aucune exigence ni même de recommandation sur l’entretien du parapente utilisé lors de l’examen:

  • il peut être complètement poreux
  • avec des suspentes qui cassent à 20 kg…

Il me semble qu’il faudrait que cela change ! Une exigence d’entretien lors d’un examen est de nature à inciter les pilotes à effectuer régulièrement l’entretien de leur matériel.

Faut-il que tout le monde puisse faire des contrôles ?

Monter un atelier de contrôle, n’est pas chose facile. Vouloir faire une révision de temps en temps est une mauvaise idée !

Pour faire des contrôles de parapentes, il faut disposer de pas mal de choses…

d’un local

  • 10 m x 5 m minimum et 5 m de haut !

d’une installation

  • une barre de 9 m minimum pour accrocher le parapente et ouvrir au moins une demi-aile + un système pour pouvoir monter et descendre la barre
  • un fort éclairage pour examiner la voile
  • une machine à coudre zig-zag spéciale pour suspentes
  • un dispositif de mesure du calage
  • une installation pour casser des suspentes et mesurer la valeur de rupture
  • etc.

d’un stock de matériel

  • suspentes
  • tissu adhésivé
  • maillons
  • bloqueurs de suspentes
  • etc.

des informations techniques 

  • vu l’énorme quantité de marques et de modèles depuis plus de 30 ans, la recherche d’information prend du temps…

de la tranquillité

  • on doit être concentré
  • quand on contrôle une voile, on ne peut pas répondre au téléphone, accueillir des clients…

d’une habitude

  • pour minimiser les erreurs et maximiser l’efficacité, il faut faire souvent les mêmes gestes.

Voulez-vous vous faire opérer par un médecin généraliste qui fait cela une fois par année ou par un chirurgien qui fait cela plusieurs fois par semaine ?

Exemple
Je ne replie pas moi-même mon parachute, car, une fois par année, ce n’est pas assez souvent pour que j’aie confiance pour m’occuper d’un élément de sécurité. Alors je donne mon parachute à replier à un de mes collaborateurs qui a l’habitude et l’expérience pour le faire.

d’un volume de contrôles suffisant pour être rentable

Si on n’a pas assez de révisons à faire, des informations techniques manquantes, un équipement partiel, pas assez de stock, peu l’habitude et si on est souvent interrompu, l’efficacité des contrôles s’en ressent.

Si on n’est pas assez rentable, on peut avoir tendance à bâcler le travail, ne pas le faire complètement… On risque de faire plus d’erreurs.

Vu l’investissement pour le local, l’installation et le stock, il est très difficile d’être rentable en faisant des révisions de temps en temps…

En conclusion

Information aux pilotes

Si l’on veut vraiment améliorer la sécurité de notre activité, il faut inciter les pilotes à entretenir leur équipement en les informant sur l’utilité des contrôles.

Scandale des biplaces

Si l’on conjugue « vieux pilotes » et « utilisation intensive », on obtient le plus faible taux d’entretien ! Surtout pour des parapentes biplaces et c’est scandaleux !

Preuve d’entretien récent

On pourrait exiger une preuve d’entretien récent (datant de moins d’une année) pour des examens de brevets, des stages ou des compétitions et surtout pour effectuer des vols biplaces dans un cadre commercial ou au sein d’un club.

Résistance des suspentes

Il faut la tester !

Porosité

Pourquoi vouloir diminuer les exigences en passant à une valeur de réforme à 5 unités au lieu de 10, alors que l’on veut augmenter la sécurité ?

Atelier de révision 

Vouloir promouvoir la création d’ateliers de contrôles de parapentes en tant qu’activité très accessoire est une mauvaise idée.
S’il manque des ateliers, il faut que ce soit une vraie activité avec un volume suffisant !

Bons vols et prenez bien soin de vous et de votre matériel !

Eric Laforge

Qui suis-je ?

J’ai mis au point de nombreux modèles de parapente et participé à l’élaboration des normes d’homologation…
Mes collaborateurs et moi-même contrôlons et réparons tout le matériel de parapente depuis plus de 30 ans avec toujours la même passion !

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